Les travailleurs de la mer by Victor Hugo

Les travailleurs de la mer by Victor Hugo

Author:Victor Hugo
Format: epub


V

Un mot sur les collaborations secrètes des éléments

Pour ceux qui, par les hasards des voyages, peuvent être condamnés à l’habitation temporaire d’un écueil dans l’océan, la forme de l’écueil n’est point chose indifférente. Il y a l’écueil pyramide, une cime unique hors de l’eau ; il y a l’écueil cercle, quelque chose comme un rond de grosses pierres ; il y a l’écueil corridor. L’écueil corridor est le plus inquiétant. Ce n’est pas seulement à cause de l’angoisse du flot entre ses parois et des tumultes de la vague resserrée, c’est aussi à cause des obscures propriétés météorologiques qui semblent se dégager du parallélisme de deux roches en pleine mer. Ces deux lames droites sont un véritable appareil voltaïque.

Un écueil corridor est orienté. Cette orientation importe. Il en résulte une première action sur l’air et sur l’eau. L’écueil corridor agit sur le flot et sur le vent, mécaniquement, par sa forme, galvaniquement, par l’aimantation différente possible de ses plans verticaux, masses juxtaposées et contrariées l’une par l’autre.

Cette nature d’écueils tire à elle toutes les forces furieuses éparses dans l’ouragan, et a sur la tourmente une singulière puissance de concentration.

De là, dans les parages de ces brisants, une certaine accentuation de la tempête.

Il faut savoir que le vent est composite. On croit le vent simple ; il ne l’est point. Cette force n’est pas seulement dynamique, elle est chimique ; elle n’est pas seulement chimique, elle est magnétique. Il y a en elle de l’inexplicable. Le vent est électrique autant qu’aérien. De certains vents coïncident avec les aurores boréales. Le vent du banc des Aiguilles roule des vagues de cent pieds de haut, stupeur de Dumont-d’Urville. – La corvette, dit-il, ne savait à qui entendre. – Sous les rafales australes, de vraies tumeurs maladives boursouflent l’océan, et la mer devient si horrible que les sauvages s’enfuient pour ne point la voir. Les rafales boréales sont autres ; elles sont toutes mêlées d’épingles de glace, et ces bises irrespirables refoulent en arrière sur la neige les traîneaux des esquimaux. D’autres vents brûlent. C’est le simoun d’Afrique qui est le typhon de Chine et le samiel de l’Inde. Simoun, Typhon, Samiel ; on croit nommer des démons. Ils fondent le haut des montagnes ; un orage a vitrifié le volcan de Tolucca. Ce vent chaud, tourbillon couleur d’encre se ruant sur les nuées écarlates, a fait dire aux Védas : Voici le dieu noir qui vient voler les vaches rouges. On sent dans tous ces faits la pression du mystère électrique.

Le vent est plein de ce mystère. De même la mer. Elle aussi est compliquée ; sous ses vagues d’eau, qu’on voit, elle a ses vagues de forces, qu’on ne voit pas. Elle se compose de tout. De tous les pêle-mêle, l’océan est le plus indivisible et le plus profond.

Essayez de vous rendre compte de ce chaos, si énorme qu’il aboutit au niveau. Il est le récipient universel, réservoir pour les fécondations, creuset pour les transformations. Il amasse, puis disperse ; il accumule, puis ensemence ; il dévore, puis crée.



Download



Copyright Disclaimer:
This site does not store any files on its server. We only index and link to content provided by other sites. Please contact the content providers to delete copyright contents if any and email us, we'll remove relevant links or contents immediately.